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Déclaration sur la 66ème session ordinaire de la CADHP

66ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples Juillet 2020

Soumission au Rapporteur spécial sur les prisons, les conditions de détention et le maintien de l’ordre en Afrique

1. Vue d’ensemble

L’African Policing Civilian Oversight Forum (APCOF) se réjouit de l’opportunité qui lui est offerte de présenter cette soumission au Rapporteur spécial sur les prisons, les conditions de détention et le maintien de l’ordre en Afrique, et nous le faisons au nom de la Campagne régionale pour la dépénalisation des petites infractions en Afrique (« la Campagne régionale »). Vous trouverez de plus amples informations sur la Campagne régionale sur son site web : www.pettyoffences.org.

La Campagne régionale reste profondément préoccupée par la criminalisation de la pauvreté sur notre continent. Tout en saluant l’adoption par la Commission africaine des Principes sur la décriminalisation des petites infractions, nous demandons instamment à la Commission, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial, d’accroître la visibilité des Principes et de promouvoir davantage leur mise en œuvre par les États membres. Ceci est particulièrement crucial dans le contexte actuel de la pandémie mondiale de Covid-19 qui a mis en évidence et exploité les inégalités. Plus précisément, nous avons observé l’adoption d’instruments législatifs et réglementaires visant à freiner la propagation du Covid-19, qui ont de plus en plus d’impact sur les pauvres et les marginalisés, et qui entraînent des sanctions pénales dans le contexte de ce qui est une question de santé publique et de justice sociale.

La campagne régionale soulève en détail les questions suivantes pour examen par le rapporteur spécial :

  • L’impact des réglementations Covid-19 sur les pauvres et les marginaux, y compris les questions relatives à la criminalisation, à l’application et aux sanctions ;
  • L’impact des réglementations Covid-19 sur les détenus dans les prisons africaines, et l’incapacité générale des États membres à prendre des mesures extraordinaires pour lutter contre la surpopulation carcérale et protéger la santé des détenus (ainsi que du personnel travaillant dans les centres de détention), et son impact spécifique sur les femmes dans les prisons, notant que de nombreuses femmes sont emprisonnées pour des délits mineurs et non violents, et leur exclusion de nombreux mécanismes de libération des prisonniers ; et
  • L’incapacité des États membres à réduire les taux d’admission en prison, y compris le recours excessif à la détention provisoire pour des délits mineurs, et plus particulièrement ceux liés aux lois Covid-19.

Bien que nous ne fournissions pas plus de détails dans cette soumission, nous notons néanmoins notre inquiétude et demandons au rapporteur spécial de prendre des mesures à ce sujet :

  • Le casier judiciaire des personnes qui enfreignent les lois Covid-19, ce qui a un impact sur les personnes pauvres qui luttent quotidiennement pour mettre de la nourriture sur la table - ceci est particulièrement important étant donné que la plupart des États membres n’ont pas de régimes de sécurité sociale ; et
  • L’obligation de rendre des comptes pour les responsables de l’application de la loi qui violent les droits de l’homme dans le cadre de la mise en œuvre des lois Covid-19, notamment en recourant à une force inutile et excessive.

2. L’impact des réglementations Covid-19 sur les pauvres et les marginaux, y compris les questions relatives à la criminalisation, à l’application et aux sanctions.

Pour freiner la propagation du Covid-19, plusieurs États membres ont déclaré l « état d’urgence ou la catastrophe, et/ou ont adopté des instruments législatifs et réglementaires visant à limiter une série de droits de l’homme, principalement liés à la circulation et au rassemblement. Dans certains cas, les lois relatives aux catastrophes et aux urgences de santé publique qui ont servi de base aux mesures du Covid-19 ont été rédigées bien avant que les droits de l’homme ne soient inscrits dans la Constitution du pays. Les sanctions pénales imposées par le biais des réglementations d’urgence permises par la déclaration de l » état d’urgence ou en vertu des réglementations émises dans le cadre des lois sur les catastrophes ou la santé publique, ont parfois contourné le contrôle parlementaire, malgré les limitations des droits résultant de ces sanctions.

Les mesures de la Covid-19 prévoient que les responsables de l’application de la loi, et dans certains cas l’armée, peuvent utiliser des pouvoirs d’arrestation et de détention pour faire respecter les instruments. Cependant, il est de plus en plus évident que la nature des nouvelles « infractions » créées par les instruments liés à la Covid-19, ainsi que leur application par les forces de l’ordre, ont un impact disproportionné sur les droits des personnes pauvres ou marginalisées. C’est particulièrement le cas lorsque l’ordre de s’isoler ou de rester chez soi est rendu impossible par l’absence de domicile, le partage des installations sanitaires extérieures dans les quartiers informels, la nécessité pour les salariés journaliers (y compris ceux du secteur informel) de gagner suffisamment d’argent pour survivre, pour ne citer que quelques exemples. Dans de nombreux cas, les instruments liés à la Covid-19 ont créé de nouvelles infractions pénales ou administratives qui entraînent des amendes et des peines d’emprisonnement, ce qui soulève d’importantes préoccupations quant à la proportionnalité et à la nécessité de ces mesures dans le contexte de développement de la plupart des États membres.
La Campagne régionale est également très préoccupée par les réponses de plus en plus militarisées et brutales des responsables de l’application de la loi aux violations d’instruments qui auraient dû être conçus dans une perspective de santé publique, plutôt que de justice pénale ou /administrative. Les preuves d’une série de violations des droits non dérogeables, y compris le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements, sont de plus en plus nombreuses sur le continent. La police a été filmée en train de faire un usage excessif et brutal de la force contre des personnes, en particulier des pauvres, ce qui a entraîné des blessures physiques et psychologiques importantes, voire la mort. Dans certains États membres, les forces de l’ordre ont extorqué des personnes arrêtées qui ne voulaient pas être mises en quarantaine pendant 14 jours.

Nos préoccupations s’étendent à la mort de M. Collins Khosa par les forces de l’ordre sud-africaines, pour laquelle la Haute Cour de Gauteng a ordonné aux forces de l’ordre d’Afrique du Sud d’élaborer des lignes directrices sur l’usage de la force dans le contexte de l’application de la réglementation Covid-19. Ailleurs sur le continent, les rapports faisant état de brutalités policières dans le cadre de l’application des règles de confinement ou de couvre-feu dans des pays tels que le Kenya et l’Ouganda sont également très préoccupants. Et ce, malgré les appels lancés par les Nations unies aux gouvernements pour qu’ils ne bafouent pas l’État de droit en recourant à des pouvoirs d’urgence au nom de la lutte contre le virus, mais pour qu’ils ne fassent usage de la force qu’en cas de stricte nécessité et dans la mesure requise pour l’accomplissement de leur mission, dans le respect des normes internationales en la matière. Même dans ce cas, les directives de l’ONU stipulent que toutes les allégations de violations des droits de l’homme doivent faire l’objet d’une enquête efficace et rapide et que les auteurs doivent être traduits en justice.
Au lieu d’appliquer des lois et des réglementations punitives de confinement, les États membres devraient veiller à éduquer le public sur le virus. Si les autorités s’adressent régulièrement au public et l’informent sur le virus, celui-ci leur fera confiance et sera plus enclin à respecter les lois de confinement du mieux qu’il peut. Le respect des droits de l’homme, y compris les droits économiques et sociaux et les droits civils et politiques, est fondamental pour le succès de la réponse de santé publique.

La Campagne demande instamment à la Commission, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial, de rappeler aux États membres leur obligation de veiller à ce que les instruments législatifs et réglementaires adoptés pour freiner la propagation de la Covid-19 soient fondés sur le droit relatif aux droits de l’homme et que leur mise en œuvre soit légitime, proportionnée et nécessaire, et basée sur les meilleures preuves disponibles dans le cadre d’une approche de santé publique. La criminalisation des déplacements, du travail et d’autres activités, pour lesquelles les pauvres et les marginalisés ne se conforment pas de manière disproportionnée pour les raisons décrites ci-dessus, est contraire à la Charte africaine, telle qu’interprétée par les Principes sur la décriminalisation des infractions mineures.