3. L’impact du COVID-19 sur les détenus dans les prisons africaines et l’incapacité générale des États membres à prendre des mesures extraordinaires pour lutter contre la surpopulation carcérale.
Malgré les défis associés à la promulgation et à l’application des restrictions Covid-19, la Campagne salue la décision d’un certain nombre d’États, dont l’Algérie, l’Angola, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Éthiopie, le Gabon, le Ghana, le Kenya, la Libye, Madagascar, le Malawi, le Tchad et la République démocratique du Congo, Mali, Maroc, Maurice, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Somalie, Afrique du Sud, Soudan du Sud, Soudan, Tanzanie, Togo, Tunisie, Ouganda, Zambie et Zimbabwe réduisent la surpopulation dans les lieux de détention en ordonnant la libération de certaines catégories de détenus, y compris les détenus provisoires dans certains cas.
La Campagne estime cependant qu’il est possible de faire davantage pour protéger la santé des détenus et du grand public, tout d’abord en empêchant l’arrivée de nouveaux détenus dans les prisons pendant la pandémie de Covid-19, par exemple en recourant davantage aux alternatives à la détention, et en ordonnant la libération d’un plus grand nombre de détenus.
Le recours à l’arrestation et à la détention devrait être évité et n « être utilisé qu’en dernier ressort et pour les infractions les plus graves. Les États membres, à travers l’interprétation de la Charte africaine par les Lignes directrices et principes de Luanda sur la dépénalisation des infractions mineures en Afrique, ont l’obligation de limiter le recours à la détention provisoire et de mettre en œuvre l’utilisation de mesures non privatives de liberté. Les mesures non privatives de liberté telles que les avertissements ou les mises en garde devraient être encouragées en tant qu’alternatives à la détention. Les mesures de décongestion devraient, conformément aux lignes directrices de Luanda et aux principes de décriminalisation, inclure les personnes détenues pour des infractions mineures, les personnes souffrant de problèmes de santé sous-jacents et celles qui ont été réhabilitées et présentent un risque limité pour la société. Les amendes doivent être envisagées pour les infractions graves. Lors de l » évaluation du montant approprié d’une amende, il convient de prendre en considération les circonstances individuelles, y compris les effets spécifiques au sexe. Ceci est particulièrement important pour les personnes sans emploi ou celles qui ne génèrent pas de revenus en raison des mesures d’urgence.
Dans certains pays, comme Madagascar, le gouvernement a ordonné la libération de certaines catégories de détenus (personnes âgées, enfants condamnés ayant déjà exécuté plus de la moitié de leur peine) tout en excluant les détenus provisoires de ceux qui pourraient bénéficier de mesures spéciales, alors que la population carcérale est composée à plus de 50 % de détenus provisoires. L’impact de ces mesures sur certains des groupes les plus vulnérables de la population carcérale, comme les femmes et les mineurs, a été minime : sur les 998 enfants détenus en mars 2020, seuls 263 ont été condamnés, et parmi ces 263, seuls quelques-uns auraient exécuté la moitié de leur peine. Les mineurs en détention provisoire, qui font souvent partie des groupes les plus vulnérables de la population carcérale en raison de leur manque d’accès à un avocat, ne peuvent malheureusement pas bénéficier de mesures spéciales visant à protéger la santé des détenus pendant la pandémie.
La pandémie de Covid-19 illustre les conséquences désastreuses de l’incapacité des États à améliorer les soins de santé dans les prisons et les soins de santé publique. Les conditions actuelles dans les prisons africaines ne sont tout simplement pas propices à la prévention de la transmission du Covid-19 dans les prisons sans avoir recours à une libération drastique des prisonniers. Déjà, de nombreuses personnes dans les lieux de détention reçoivent des soins de santé limités pour la tuberculose, le diabète et le VIH. Dans la plupart des prisons, il est impossible de maintenir des mesures telles que la distanciation sociale et le lavage régulier des mains, et le manque d’hygiène et la promiscuité augmentent le risque de transmission. Dans de nombreux pays, le dépistage de masse des prisonniers et du personnel pénitentiaire est peu probable, car les kits de dépistage et les laboratoires sont limités. La fourniture durable d « équipements de protection individuelle dans les prisons est essentielle.
Les conséquences de l’incapacité des États membres à réduire la surpopulation carcérale sont importantes. Elle peut également accroître les tensions dans des environnements déjà difficiles. Au Togo, par exemple, une mutinerie s’est produite à Lomé en raison de la surpopulation. Les personnes détenues à la maison d’arrêt ont refusé d’accueillir de nouvelles personnes après que 19 personnes sur 283 aient été testées positives au Covid-19. La prison, construite à l » époque coloniale pour un maximum de 600 détenus, en accueille plus de 1500.
En outre, les mesures adoptées pour réduire les risques liés au Covid-19 dans les prisons ont ciblé la population carcérale en général, sans tenir compte de la manière dont les réponses devraient être adaptées pour répondre aux besoins spécifiques des femmes détenues. Au Nigeria, une seule femme a bénéficié à ce jour d’une libération anticipée parmi les 29 personnes symboliquement libérées par le ministre de l’intérieur au début de l’opération présidentielle de libération des détenus visant à enrayer la propagation du Covid-19 dans les centres pénitentiaires. Au Malawi, en Gambie et en Sierra Leone, aucune mesure spécifique n’a été adoptée pour permettre la libération des femmes enceintes ou allaitantes ou de celles qui ont des enfants vivant en prison avec elles, malgré les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, entre autres.
Dans de nombreux pays, les mesures Covid-19 comprennent l’interdiction des visites de prison et la limitation de l’accès aux tribunaux. Ces mesures augmentent la durée de la détention préventive et l’exposition des détenus aux maladies. En outre, dans certains pays, les mesures de la Covid-19 ont eu pour effet de mettre fin aux visites de la famille et des mécanismes de contrôle. D’une part, il existe une obligation de protéger les prisonniers et les détenus d’une maladie contagieuse, mais il existe aussi une obligation simultanée de veiller à ce que les normes minimales de détention soient respectées et que les prisonniers et les détenus aient accès à leur famille et à un mécanisme de plainte indépendant.
Les États membres ont un devoir légal de diligence à l’égard des prisonniers. Pour promouvoir la responsabilité, ils devraient être encouragés à publier et à mettre en œuvre des plans visant à prévenir, arrêter ou ralentir la propagation de la Covid-19 dans les lieux de détention, à permettre à des observateurs externes d’accéder à ces lieux de détention pour rendre des comptes et à garantir la mise en place d’installations de dépistage pour les personnes qui entrent dans les lieux de détention et pour celles qui en sortent.
La Campagne demande instamment à la Commission, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial, de rappeler aux États membres leur obligation de veiller à ce que les conditions de détention soient conformes aux normes pertinentes en matière de droits de l’homme, y compris le droit de ne pas subir de mauvais traitements et de jouir du meilleur état de santé possible. Les États membres devraient être encouragés à mettre en œuvre leurs obligations en vertu de la Charte africaine, y compris telles qu’interprétées par les lignes directrices de Luanda et les principes de dépénalisation, afin de garantir que des mesures appropriées et fondées sur les droits sont en place pour réduire la surpopulation dans les lieux de détention et que, pour les personnes pour lesquelles une détention continue est proportionnée et nécessaire, les environnements de détention sont conformes aux droits et protègent la santé et le bien-être des détenus (et des membres du personnel).
4. Conclusion
Les questions des arrestations arbitraires, de l’impact sur les pauvres de la criminalisation et de la répression des délits mineurs, et des niveaux de surpopulation dans de nombreux systèmes africains sont des préoccupations préexistantes en matière de santé publique et de crise des droits de l’homme. Si les mesures prises dans le contexte de la Covid-19 par les États membres pour réduire radicalement le nombre de personnes détenues sont les bienvenues, elles ne doivent pas rester des mesures exceptionnelles dans le contexte d’une pandémie. À court terme, elles doivent être accélérées et étendues de toute urgence. À long terme, elles doivent être renforcées, exploitées et étendues afin que la criminalisation des activités vitales dans les espaces publics et les conditions de détention ne continuent pas à violer les droits de l’homme. La Commission, par l’intermédiaire du rapporteur spécial, est invitée à rappeler aux États membres leurs obligations en matière d’environnements de détention sûrs et respectueux des droits, et à promouvoir des alternatives permanentes à la détention, en particulier pour les délits mineurs, de toute urgence, maintenant et dans l’ère post-Covid-19.
Soumis au nom de la Campagne régionale pour la dépénalisation des délits mineurs en Afrique par
African Policing Civilian Oversight Forum (APCOF)
Louise Edwards
Directeur de la recherche et des programmes
E : louise@apcof.org.za
T : +27818769293
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Mowbray, Western Cape, Afrique du Sud, 7705